Par Kevin Cook
The Rotarian.

 
La vallée de Swat se trouve dans le nord du Pakistan encastrée entre le Cachemire et Khyber. La région a été autrefois gouvernée par un monarque ou Wali nommé Miangul Abdul Haq Jahanzeb. Celui-ci est un moderniste qui fait construire des écoles pour filles et garçons et met un point d'honneur à visiter les endroits les plus reculés de son royaume. « C'était un endroit magnifique et immaculé où les montagnes se dressaient majestueusement, affirme Zebu Jilani se rappelant la terre de son enfance. On l'appelait le vrai Shangri-La. » Le Wali est son grand-père.

En 1969, Swat perd sa souveraineté et est rattachée au Pakistan. Commencent alors 40 ans de déclin qui touchent le fond avec la montée des Talibans en 2008. Les habitants de Swat sont alors soumis à un régime brutal où les opposants politiques sont arrêtés, voire décapités, les exécutions publiques se multiplient, les femmes sont battues et les écoles dynamitées.

Zebu Jilani part aux États-Unis en 1979. À chaque fois qu'elle retourne dans son pays, son cœur se brise. La fortune de sa famille ayant été dilapidée, elle part en quête de fonds pour ouvrir des écoles et des foyers, distribuer des médicaments et créer le premier Rotary club à voir le jour à Swat. Parmi les premiers à être recrutés figure Ziauddin Yousafzai, un enseignant et un activiste qui est père d'une adolescente prénommée Malala.

Vous avez sans aucun doute entendu parler de Malala Yousafzai. À 15 ans, elle est une des meilleures élèves du collège Khushal à Mingora. Avide de lecture, elle dévore tout--de la poésie pachtoune aux grandes sagas. Elle tient également un blog dans lequel elle décrit le quotidien sous les Talibans.
Elle chronique les escarmouches entre l'armée pakistanaise et les Talibans (« La nuit s'emplissait du bruit des tirs d'artillerie"), les survols incessants des hélicoptères, les pénuries de livres, ses rêves, sa robe favorite et la fin inéluctable de son éducation : « Les Talibans viennent de passer une loi interdisant aux filles d'aller à l'école ».

Malala utilise un pseudonyme (Gul Makai, le nom d'une héroïne du folklore pakistanais), mais son identité est un secret de polichinelle. « J'obtiendrai mon éducation. Et je lance un appel à la communauté internationale : Sauvez nos écoles. Sauvez Swat. »

De son côté, son père s'efforce de préserver les traditions. En 2010, après que l'armée pakistanaise ait restauré un semblant de paix à Mingora, il aide son club à organiser un concert, le premier depuis la prise du pouvoir par les Talibans. « Nous, Rotariens, étions fiers de présenter un tel spectacle. C'était un acte courageux, car la présence des Talibans se faisait toujours sentir, déclare Yousafzai, membre du Rotary club de Mingora Swat. En dépit du climat tendu avec ces menaces et ces assassinats constants, nous avons fait du bon travail. »

Un mardi d'octobre 2012, Yousafzai se trouve à Mingora où il anime un meeting rassemblant plus de 300 proviseurs et enseignants pour promouvoir l'éducation pour tous. « Mon ami Ahmad Shah, lui-même Rotarien, est intervenu avant moi, dit-il. Je me dirigeais vers la tribune lorsque mon téléphone a sonné. J'ai donné le téléphone à Ahmad. Quelques secondes plus tard, il me glisse que le bus de l'école Khushal a été attaqué. Le monde autour de moi s'est écroulé. Je savais qui était leur cible. 'Ce ne peut être que Malala,' j'ai pensé. Le modérateur a alors annoncé mon nom. Le front couvert de sueur, j'ai parlé pendant six minutes. En descendant de l'estrade, Ahmad m'a dit 'Il faut aller à l'hôpital'. »

Malala est sur le chemin de la maison lorsqu'un homme armé fait irruption dans le bus scolaire. Il menace de tuer tout le monde si on ne lui dit pas qui est Malala. « Parlez ! crie-t-il. Ou je vous tue toutes. » Des adolescentes terrifiées se retournent vers leur camarade. Identifiée, l'homme pointe alors son arme sur elle et tire à bout portant.

Six jours après l'attaque, elle est évacuée vers un hôpital de Birmingham en Angleterre spécialisé dans les soins aux blessés de guerre. C'est là qu'elle ouvre les yeux pour la première fois. « Où suis-je ? » dit-elle.
De son lit d'hôpital, elle reste déterminée. « Les Talibans pensaient pouvoir m'arrêter, mais ils se trompent », dit-elle.

En mars, Malala retourne à l'école à Birmingham, la ville avec la deuxième population pakistanaise de Grande-Bretagne. Elle vit désormais avec une plaque en titane insérée dans le crâne et un appareil électronique pour lui permettre d'entendre de l'oreille gauche. Sa soudaine célébrité ne lui tourne pas la tête. « Je suis une adolescente comme les autres », dit-elle. En outre, elle ne perd pas de vue son objectif et dès son retour en classe, elle lance une pétition pour le droit des enfants à l'instruction.

Quant à Zebu Jilani, elle continue de fournir aux habitants de Swat le strict nécessaire — des tentes et antibiotiques aux bulldozers et rouleaux compresseurs. « La souffrance de Malala était insupportable, mais elle a obligé le monde à être attentif à ce qu'elle a à dire, dit Jilani. Sa célébrité est un don du ciel pour sa cause. J'espère qu'un jour elle pourra retourner chez elle et constater que nos efforts ont produit des résultats. » C'est un espoir que partagent Malala et son père qui est désormais conseiller auprès de l'ancien premier ministre britannique Gordon Brown, aujourd'hui envoyé spécial de l'ONU chargé de l'éducation.

« Je rêve de retourner à Swat, confie Yousafzai. Je demanderai alors à Malala de rejoindre notre Rotary club. »