Par Artis Henderson
Adapté d’un article paru dans le numéro d’avril 2014 du magazine The Rotarian
 

 
 
Boursière du Rotary au Sénégal, Artis Henderson avait pris l'habitude d'écrire son mémoire sous un hibiscus rouge.
Photo : Illustration : Michael Byers
 

À peine arrivée à Dakar en tant que boursière du Rotary, une amie m'a conseillé de porter une alliance. J’avais déjà constaté qu’en tant que jeune femme américaine en terre musulmane, j’attirais l’attention.

- Mais pourquoi une alliance ?

Mon amie m'a lancé avec un hochement de tête :

- De cette manière, on te laissera tranquille !

J'ai alors passé mon pouce sur mon annulaire gauche – un geste que je faisais quelquefois par habitude pour toucher mon alliance – avant de me rendre compte que je l’avais retirée lors de mon premier anniversaire de mariage, huit mois après que mon mari, Miles, ai été tué en Irak le 6 novembre 2006. J’avais alors 26 ans.

Ma première année de veuvage a pour moi été terrible. Chaque journée semblait être insurmontable. Il est ensuite devenu clair que ma vie devait continuer. Pour la première fois depuis la disparition de Miles, je me suis demandé à quoi pourrait ressembler cette nouvelle vie. Et j’ai trouvé la réponse : devenir écrivain. Je n’aurais pourtant jamais pensé que le Rotary me permettrait de réaliser ce rêve.

Tout d’abord, le Rotary m'a permis de quitter pendant un mois ma maison en Floride pour me rendre en Bretagne, dans le cadre d’un échange d’équipes de jeunes professionnels. Cette expérience m'a donné le courage d’accomplir l’étape suivante, me rendre à New York pour décrocher un Master en journalisme à l’université Columbia.

Puis, les Rotariens que j’avais rencontrés m'ont fortement suggéré de déposer un dossier de candidature pour une bourse du Rotary. Je souhaitais alors me rendre à l’autre bout de la terre, dans un endroit dépaysant où je serais en mesure d’oublier mon passé douloureux. En 2010, je me suis ainsi installée au Sénégal pour étudier la littérature ouest-africaine à l’université Cheikh Anta Diop.

Dans la chaleur oppressante de cet après-midi à Dakar, je suis allée au centre-ville à la recherche d’une alliance. J'ai trouvé dans une petite rue un bijoutier dont la porte de l’échoppe était ouverte. Un homme d’un certain âge était assis derrière le comptoir, les yeux clos. Je suis rentrée et il s'est penché vers moi. Je lui ai expliqué ce que je recherchais, un anneau fin en argent. Il a alors sorti un sac en toile qu’il a vidé sur le comptoir.

- Vous venez d'où ? M'a-t-il demandé alors que je commençais à piocher dans le tas de bagues.

J'ai relevé la tête :

- Des États-Unis.

L’homme a posé ses deux mains calleuses sur les bijoux.

- Alors, vous pouvez peut-être m’expliquer pourquoi votre pays est en guerre contre l’Islam ?

J’ai ouvert la bouche pour parler, pour essayer d’expliquer un conflit que je ne comprenais pas. Je voulais que cet homme sache que cette guerre m’avait enlevé mon mari et que pour Miles, elle n’avait jamais été une guerre contre les musulmans. Le bijoutier m'a regardé fixement avec des yeux remplis de colère. J'ai perdu tous mes moyens. J'ai baissé la tête, puis suis partie en courant.

La pays était en pleine ébullition à l'époque. Le printemps arabe se rependait en Afrique du Nord comme une traînée de poudre et à Dakar, des hommes s’immolaient pour protester contre le régime. Des étudiants brûlaient des pneus, bloquaient les avenues. Des troubles éclataient dans toute la ville.

Quelques mois plus tard, j'ai reçu des nouvelles inattendues : l’éditeur Simon & Schuster me proposait de publier un mémoire que je leur avais soumis sur la mort de mon mari. Je l’ai écrit au Sénégal et la bourse m’a offert quelque chose auquel je n’aurais jamais pensé : un endroit pour exorciser loin de tout ma souffrance.

Ce séjour à Dakar m'a également beaucoup appris. À mon arrivée, j'étais logée dans une famille dont la chaleur m’a permis de m’adapter à la vie en Afrique. Moussa, le fils aîné, avait mon âge et était également journaliste. Quelques semaines se sont écoulées avant qu'un drame ne se produise. Moussa est subitement tombé gravement malade avant de mourir. Lors des funérailles, j’ai éclaté en sanglots pendant l’éloge funèbre de l’Imam.

Un mois après l’enterrement, la famille m’a invité à dîner. Après le repas, je suis allée rejoindre la mère de Moussa dans le jardin, dans le silence des heures tièdes de l'après-midi africain. Elle m'a pris la main. Je ne pouvais pas imaginer la souffrance associée à la perte d'un enfant, mais je savais que la sienne était immense. Et à cet instant, j'ai réalisé qu’il ne fallait pas grand chose pour rapprocher deux êtres : seulement un geste empli de simplicité et de douceur.